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Le propriétaire forestier qui veut garder son territoire pour lui? Raoul D’Hoossche n’est pas comme ça! Il a acheté un bois dans les Ardennes flamandes et l’a ouvert au grand public. Les campeurs sont accueillis toute l’année dans la zone de bivouac voisine, la seule située dans une réserve naturelle privée. « Trop peu de bois privés sont accessibles. Je veux que cela change ! »
La nuit tombe sur une colline idyllique des Ardennes flamandes. À l’orée de la forêt, une zone d’herbe tendre s’étend au bout d’un tronçon en pavés que redoutent même les meilleurs Flandriens. Fatigués, mais heureux, les randonneurs y plantent leur tente après une longue journée passée à grimper et dévaler les routes des plus beaux coins du Tour des Flandres. Les bikepackers et cyclotouristes s’affalent pour souffler après leur ultime effort. L’un est parti de Bruges au matin, l’autre d’Anvers et le troisième des Pays-Bas. Tous ces itinéraires se croisent sur ce flanc de colline à Horebeke. Les randonneurs et cyclistes font connaissance et partagent leurs expériences de la journée dans un décor pittoresque, au milieu de champs et prairies.
74 ans
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Habite à Audenarde, à la lisière de la forêt t’Ename
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Guide nature depuis 40 ans
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Propriétaire de la zone de bivouac Wereldboom à Horebeke, la seule zone de ce type sur terrain privé, et du bois limitrophe.
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À la tête de l’association Bosgroep Vlaamse Ardennen tot Dender.
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Essaie de convaincre d’autres propriétaires de forêts pour qu’ils ouvrent leur propriété au public.
Raoul D’Hoossche (74 ans) d’Audenarde regarde la scène en souriant. « Vous êtes un bon gars », le félicitent les cyclistes de Bruges. « C’est magnifique ici ! » Raoul sourit avec fierté. Il a atteint son objectif. Il est le propriétaire de la zone de bivouac Wereldboom, la seule aire de bivouac située dans les Ardennes flamandes. C’est le seul endroit des environs où les voyageurs lents peuvent se reposer gratuitement une nuit. Et ce n’est pas tout : Raoul ouvre également aux visiteurs l’écrin de verdure attenant.
Il n’y a pas si longtemps, c’était encore une terre agricole. Mais les champs et prairies se fatiguaient et n’étaient plus rentables. Raoul a ainsi décidé d’acheter sept hectares. Muni d’une vieille carte de Ferraris de 1775, il essaie de restaurer le paysage tel qu’il était. Il a reboisé les terres agricoles d’antan et transformé un abreuvoir pour le bétail en habitat de rêve pour les grenouilles et autres amphibiens. « Si vous aménagez correctement le bois, vous créez des biotopes pour les chevreuils, écureuils et faisans. » Raoul ajoute que les chevreuils paissent même entre les tentes. « Tout le monde est le bienvenu ici, y compris les animaux. » Le fait que le bois se rétablisse si rapidement témoigne de l’énorme résilience de la nature. Ce n’est pas un hasard selon Raoul. « Dans les pyramides égyptiennes, les archéologues ont trouvé des graines qui pouvaient encore germer après 2 000 ans. Maintenant que les prairies ont disparu, la végétation de l’époque va germer d’elle-même. »
« Tout le monde est le bienvenu ici, y compris les animaux. »
Raoul espère que son bois apportera à ses visiteurs autant de réconfort que les arbres lui en ont apporté autrefois. En effet, son amour pour les bois remonte à un traumatisme d’enfance. Le 12 novembre 1958 restera à jamais gravé dans sa mémoire : ce jour-là, son père l’a emmené à cheval et en charrette. Raoul était destiné à suivre les traces de son père, un fermier du Land van Rode, près de Gand. En chemin, le père D’Hoossche a montré à son fils comment conduire un cheval. Il lui a conseillé de regarder ses oreilles : si elles bougent, le contact est établi avec l’animal. Le cheval a obéi docilement. « Il m’a ensuite attrapé par ma veste en velours. J’ai vu cinq larmes rouler sur sa joue. 'Je suis malade', m’a-t-il confié. 'Mais ne le dis pas à ta mère.' » Ce soir-là, Raoul s’est endormi en pleurant dans sa chambre mansardée.
Son père est décédé six mois plus tard. Il a été enterré le vendredi. Le dimanche, Raoul faisait sa communion solennelle. « Tous les biens de mon père ont été vendus, y compris mon cheval préféré », explique Raoul. « L’argent de la vente a été viré sur un compte d’épargne. Un juge de paix devait se prononcer sur chaque dépense. Nous sommes instantanément devenus pauvres. » Il a alors trouvé du réconfort dans un bois près de la maison parentale à Munte, une entité de Merelbeke. « J’y ai appris à parler aux arbres et ai finalement pu surmonter mon chagrin. » Depuis lors, il continue de chercher à entrer en contact avec la nature. « Mon amour pour le bois est resté », poursuit Raoul. Et c’est vrai : il a suivi les cours nécessaires pour devenir guide, une fonction qu’il exerce maintenant depuis quarante ans. À l’heure actuelle, il pense avoir déjà guidé 20 000 personnes dans les bois.
« À la mort de mon père, j’ai trouvé du réconfort dans les bois. J’ai ainsi pu surmonter mon chagrin. »
Raoul n’est jamais devenu agriculteur. Un pasteur de la famille lui a conseillé de poursuivre ses études. Il est allé à l’école avec Jef Vermassen et a ensuite fait son entrée dans le monde des affaires. Après sa carrière, il a commencé à acheter des bois qu’il ouvre autant que possible au grand public. « Je suis assez doué sur le marché boursier. J’ai investi les dividendes de Total Fina dans ce bois », rit-il. « Il est donc possible de transformer la pollution en un écrin de verdure. Lorsque j’aurai 182 ans, toutes ces compagnies pétrolières n’existeront plus. Elles seront remplacées par des bois. »
Raoul possède désormais 15 hectares, répartis sur plusieurs sites de la région. Le domaine à Horebeke est ouvert depuis six ans. Raoul y guide régulièrement des groupes scolaires. « Tout le monde devrait pouvoir visiter la nature, même si elle se trouve sur un terrain privé. Je regrette que si peu de bois privés soient ouverts. » Raoul essaie de changer la donne grâce au groupement forestier Vlaamse Ardennen tot Dender, une association de propriétaires privés. Il fait preuve de beaucoup de tact et de diplomatie. « Cela bouge lentement, mais sûrement. Les enfants qui naissent actuellement pourront un jour se promener dans un bois privé. J’en suis convaincu ! »
« Vous connaissez l’arbre à Nutella ? », demande Raoul à deux enfants qui campent avec leur oncle dans la zone de bivouac. Il les entraîne ensuite vers un noisetier. « Ici, les enfants ont encore la chance de réellement entrer en contact avec la nature », se réjouit-il. « Ils peuvent s’amuser ou jouer à cache-cache. » Raoul consacre beaucoup de temps à sa zone de bivouac. En haute saison, il y passe presque tous les jours. « Mais je le fais avec grand plaisir. » Et cet amour est réciproque, comme le prouvent non seulement les éloges des campeurs, mais aussi les petits mots laissés à l’intention de Raoul dans le livre d’or. « Mais ne dites rien à ma femme », nous prévient-il en faisant un clin d’œil.
« En général, nous accueillons ici de vrais campeurs, ainsi que des randonneurs à pied et à vélo. » La semaine dernière, il a reçu des personnes qui avaient parcouru 200 kilomètres à vélo. « Ils viennent de partout, pas seulement de Belgique et des Pays-Bas, mais aussi d’Angleterre, d’Allemagne et de France. » Tout le monde semble apprécier et respecter ce petit coin de paradis sur terre à Horebeke. Les campeurs emportent leurs déchets et laissent le site dans l’état où ils l’ont trouvé. Ces règles de base ne sont malheureusement pas toujours respectées dans d’autres zones de bivouac. Raoul a également déjà dû faire face au vandalisme. « 98 % des gens sont raisonnables. Je ne vais pas fermer mon bois à cause des 2 autres pour cent. Je punirais alors tout le monde ! » Il se dit que s’il crée une excellente atmosphère, il finira par exclure le vandalisme et les nuisances.
Chaque fois que la situation risque de dégénérer, par exemple lorsque des jeunes veulent organiser une fête, Raoul la désamorce avec le sourire. « La diplomatie et l’humour permettent d’éviter bien des problèmes », dit-il. « J’essaie de maintenir une bonne ambiance. Interdire des choses ou infliger des amendes ne sert à rien. » Raoul se souvient par exemple d’un groupe qui avait apporté trois bacs de bière, trois bouteilles de vodka et six bouteilles de vin. Ils avaient manifestement l’intention de passer une soirée bien arrosée. « Je leur ai dit : je n’arriverai pas à tout boire tout seul, mais merci pour le cadeau. » Il en rit encore ! « Ils ont sagement remis toutes les boissons dans leur voiture. Et s’ils font vraiment les singes, je prends leurs coordonnées et ils peuvent venir m’aider dans les bois. »
C’est un endroit où les voyageurs lents peuvent planter leur tente gratuitement pour une ou deux nuits. En principe, vous arrivez à pied ou à vélo. Les campeurs en voiture ne sont pas les bienvenus. Ne vous attendez pas au grand luxe, mais à un endroit confortable et proche de la nature. Certaines zones (mais pas toutes) sont équipées d’une pompe à eau, de toilettes sèches, d’un abri, d’une zone pour faire un feu de camp ou d’une plate-forme en bois pour monter votre tente. Le principe du « leave no trace » s’applique dans les zones de bivouac : vous ne perturbez pas l’environnement et vous emportez vos déchets. La Belgique compte plus de 50 zones officielles de bivouac. L’agence flamande pour la nature et les forêts gère la plupart d’entre elles. Parfois, l’aire de bivouac est délimitée par des potelets.
Parlons aussi des petits malfrats : Raoul encadre dans son domaine des hommes condamnés à des travaux d’intérêt général, car ils ont commis de petits larcins ou se sont battus au café. Pour les calmer, le juge leur impose quatre-vingts heures de travail dans les bois. « Ces hommes ont souvent des tatouages I love you, suivis de seize noms de femmes. Mais dans le fond, ce ne sont pas de mauvaises personnes. Comme Jef Vermassen le dit : un criminel potentiel sommeille en chacun de nous. » Raoul tisse régulièrement des liens avec eux. Vers la vingtième heure de leur peine, ils se confient à lui tandis qu’ils fabriquent une rambarde ou creusent un chemin. Et cela leur fait du bien de passer du temps dans la nature. « Oh oui ! Ils reviennent ensuite camper, avec trois enfants issus de trois relations différentes. Cela m’arrive parfois de leur apporter un peu de nourriture. »
Nous empruntons le parcours d’apprentissage, un chemin qui serpente dans le bois. En chemin, vous apprendrez non seulement certaines choses sur la nature, mais pourrez aussi lire des poèmes de Guido Gezelle et Jotie T’Hooft, le poète régional maudit. Raoul aime la nature et la poésie, les choses à la fois les plus fragiles et les plus fortes de la vie. « Ne rompez pas le silence », lit-on sur un arbre. « Quatre-vingts pour cent des poèmes de Gezelle portaient sur la nature. Chaque fois qu’il rencontrait des problèmes, il se retirait dans les bois. Il a écrit de magnifiques textes ! »
Un peu plus loin, Raoul tend l’oreille. « Écoutez », chuchote-t-il. « Une grive musicienne ! » Un jour, il a installé un distributeur de tickets à côté d’un banc, comme chez le boucher. « Prenez un ticket pour le concert du rossignol, de dix à onze heures. » Alors qu’il imitait une chouette hulotte en hiver, un vrai rapace est venu jusqu’à lui ! « La chouette hulotte partage toute sa vie avec le même partenaire. Le mâle pensait probablement qu’un rival venait séduire sa belle. »
« Prenez un ticket pour le concert du rossignol. »
Il prétend qu’il n’est pas riche. Il porte des pantalons de chez Aldi. « Et les chemises aussi », ajoute-t-il. Mais ici, dans son propre paradis naturel, Raoul se sent comme un roi grâce aux commentaires des amoureux de la nature, randonneurs et campeurs. Il aime partager avec les autres. « À la fin de ma vie, s’il me reste six planches, cela suffira. Je ne suis pas riche, mais ce domaine vaut de l’or ! » Il souhaite ouvrir d’autres bois au Molenberg. Après sa mort, la réserve naturelle ne reviendra pas à ses trois enfants, mais à une fondation. Elle ne disparaîtra donc jamais et restera toujours accessible au public.
En juillet 2023, nous avons appris avec tristesse le décès soudain de Raoul à l’âge de 76 ans. Lors de notre première rencontre deux ans plus tôt, il nous avait raconté avoir voulu apprendre à voler quand il était enfant. Il avait empilé trois chaises, était tombé et avait souffert d’une triple fracture du bras. Il nous avait aussi dit : « Je suis fermement convaincu que je vais me réincarner en buse. » Nous espérons que c’est désormais le cas et qu’il est toujours à nos côtés. Peut-être peut-il même encore survoler ses bois et sa zone de bivouac qu’il chérissait tant. Parions qu’il peut y admirer quelques visages souriants ?
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