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En tant que réalisateur de documentaires sur la nature, Frans Verhoeven (84 ans) a observé le monde entier à travers son objectif. Aujourd’hui, il se sent bien chez lui. Cet habitant de Mol ne se lasse pas de contempler la beauté de « sa » Campine. « La Campine est unique. La vie y est prolifique », dit-il. Et il ne compte pas s’arrêter de sitôt. « J’apprends encore tous les jours. »
rans Verhoeven se promène le long du puits de sable de Mol-Rauw, un lac résultant de l’extraction du sable par la société Sibelco. Soudain, il s’arrête et nous montre une petite fleur violette émergeant des brins d’herbe desséchés. Son sens du détail est aussi développé que celui du balbuzard pêcheur qu’il filma un jour en ces lieux. « Après toutes ces années, vous voyez des choses que les autres ne perçoivent pas », explique-t-il.
Sur ces terres sablonneuses, Frans se sent chez lui. À Mol et dans ses environs, rares sont les endroits sur lesquels il n’a pas encore braqué son objectif. « Je travaille sur mon 66e film », dit-il. Pour sa dernière réalisation, il s’inspire de l’œuvre de Jakob Smits, un peintre hollandais qui était tellement amoureux de la région qu’il ne l’a plus jamais quittée. « Je pars de ses œuvres et visite les endroits qu’il a peints. Pour voir à quoi ils ressemblent maintenant. Certains endroits sont encore beaux, tandis que d’autres ont connu un sort dramatique. »
Alors que la plupart de ses pairs profitent d’une retraite bien méritée, d’un peu de confort et disputent de temps à autre des parties de dame de pique, Frans continue à ramper à plat ventre, si nécessaire. Pour ne pas rater l’une ou l’autre prise de vue essentielle : un martin-pêcheur plongeant dans l’eau pour attraper une épinoche, un papillon qui sort de sa chrysalide. Passer des journées entières dans des cabanes, sous la pluie, ne le dérange pas. Physiquement, il paraît 20 ans de moins que son âge. Il emporte sa caméra partout avec lui. « Sauf quand je sors avec ma femme ou que je vais acheter des bières », ricane-t-il.
84 ans
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Originaire de Mol, dans la Campine belge
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Réalisateur de documentaires (sur la nature)
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Il a déjà réalisé 65 films pour la télévision, essentiellement consacrés à la nature, chez nous et à l’étranger
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l Son film sur les lacs de Mol lui a valu une « Pomme d’Or », un prestigieux prix de la presse touristique
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l Il a travaillé comme représentant de la brasserie Westmalle
Frans réalise des documentaires sur la nature et tout ce qui s’y rapporte, mais il s’intéresse aussi aux gens et à l’histoire locale. Il a un sixième sens pour détecter le merveilleux, qu’il soit aussi petit qu’un azuré de l’ajonc ou aussi grand qu’une buse qui patrouille le ciel. Il trouve la beauté en toute chose. Excepté peut-être dans « ces gens avec leurs vélos ». La veille encore, il tournait un documentaire près de la réserve naturelle De Maat, le long du canal à Mol. « Ils ont failli me renverser. »
Ne vous attendez pas à des images tape-à-l’œil, mais plutôt à de la poésie sur pellicule qui se déploie lentement. Les documentaires de Frans sur la Campine mettent les quatre saisons en lumière et leur réalisation implique clairement une patience angélique et une admiration sans bornes pour la nature. Sur le site du « Ronde Put », à Mol-Postel, nos yeux se posent sur des sphinx colibris farouches et des droséras, de mystérieuses plantes carnivores. Dans le hameau de Bel (à proximité de Geel), nous découvrons des pins ondulants sur les dunes, des fourmis rousses et des bembex à rostre, mais également un boulanger local, qui travaille encore de manière traditionnelle. Et dans le domaine De Liereman, une réserve naturelle située à Oud-Turnhout, nous pouvons apercevoir des buissons de Myrica et des étourneaux.
Frans révèle le spectaculaire dans le familier. À travers son objectif, nous pouvons porter un regard neuf sur notre propre nature. Et il a le don de faire tourner sa caméra dans la bonne direction au bon moment. « Il faut toujours un peu de chance », explique Frans, peu enclin aux éloges. « Mais si vous voulez filmer un oiseau dans les règles de l’art, cela nécessite un minimum de préparation au préalable. » Il faut d’abord étudier ses habitudes : les animaux ont une vie très structurée et viennent toujours se nourrir au même endroit. « Le martin-pêcheur se pose toujours sur le même bâton avant de se réfugier dans son nid. Une fois que vous savez cela, vous pouvez filmer de magnifiques séquences. »
Mais le maître-mot, c’est la patience. Pour immortaliser la féerie de la nature, il faut souvent de longues heures d’attente. À Mol, Frans connaît un endroit où les cormorans viennent se poser pour sécher leurs ailes. « C’est un spectacle magnifique, mais il m’arrive d’attendre deux heures pour rien. La plupart des gens n’ont pas assez de patience et baissent les bras. Parfois, l’attente peut être très longue. »
Dans ces moments, il s’agit de rester bien concentré. Il suffit d’un moment d’inattention, au mauvais moment, pour gâcher votre journée de tournage. « À la VRT, un réalisateur de longs métrages m’a dit un jour qu’il n’y a rien de plus facile que de faire des films sur la nature. Mais il oublie que ses acteurs peuvent répéter cent fois la même scène. Il y aura toujours une prise réussie dans le lot. Si je veux filmer un busard des roseaux et qu’il s’envole, je ne peux pas lui dire : 'Hé, monsieur, revenez ! ' »
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Depuis longtemps, Frans est un grand amoureux de la nature. Enfant, il chassait papillons, oiseaux et autres jolies bestioles. « Et quand j’allais dans les Ardennes, il fallait que je voie un sanglier », remarque-t-il d’un ton catégorique. « Sinon je ne rentrais pas chez moi. » Frans commence à réaliser des films au milieu des années 60. Au DOKA, le club photo de Mol, il reste depuis un moment sur sa faim. Prendre des photos, c’est bien beau, mais ce qu’il préfère, c’est capturer le mouvement. Avec Gaston Craps, un ami artiste de Meerhout, il crée un ciné-club avec des personnes qui partagent sa passion. En 1968, il réalise son premier film professionnel, consacré au centre d’étude de l’énergie nucléaire CEN.
Et même si Frans a capturé la beauté de sa région natale sur pellicule depuis des décennies, avec Gaston, il concentre également son attention sur des régions plus exotiques. Ensemble, ils créent une société de production, DuoFilm. Leur premier film sur la nature, Animal Paradise, les conduit dans les îles Galapagos, l’archipel au large de l’Équateur qui inspira à Charles Darwin sa théorie de l’évolution. « Les Galapagos, c’est la nature à l’état pur », déclare Frans. « L’intérêt pour Darwin s’est manifesté après. C’est le summum pour tous les amoureux des animaux. On y trouve notamment de nombreux oiseaux et iguanes ».
Leur choix fut motivé par l’envie de découvrir l’extraordinaire richesse naturelle de l’archipel. « À l’époque, les îles Galapagos étaient encore inconnues. Une merveille que personne n’avait encore jamais vue », poursuit Frans. « Nous savions que si nous voulions percer à la télévision, nous devions absolument y aller. » Le plan fonctionne. Un collaborateur de la RTBF découvre le film lors d’un concours de films amateurs. Impressionné par l’incroyable précision des images, il s’empresse d’acheter les droits du film pour le Jardin Extraordinaire, la célèbre émission de reportages sur la nature. Le lendemain, ils reçoivent un appel du département Acquisitions de la VRT...
En fait, c’est un influenceur de voyage avant la lettre. Lorsque la VRT et la RTBF frappent à la porte pour obtenir les droits de diffusion, les choses se précipitent. Du Costa Rica aux Seychelles, du Sénégal au Spitzberg et de Madère à Taïwan : Frans laisse tourner sa caméra aux quatre coins du monde.
Son employeur de l’époque, la brasserie Westmalle, lui accorde suffisamment de congés pour lui permettre de travailler sur ses projets. Deux semaines par an, il part explorer la planète avec Gaston et leurs épouses. « Nous faisions toutes les démarches auprès des ambassades », explique Frans. « Tant que nous pouvions garantir que le film serait diffusé à la VRT et à la RTBF, les ambassades arrangeaient et payaient tout. Une heure d’antenne coûte en effet très cher. »
En Équateur, Frans et son équipe filment les peuples autochtones dans les Andes. Un voyage aux îles Canaries est consacré aux volcans et, dans le nord du Canada, ils réalisent un documentaire sur les phoques en signe de protestation contre le matraquage à mort des bébés phoques. « Horrible à voir », dit Frans. La guide qui les accompagne au Canada s’avère être l’actrice Loretta Swit, célèbre pour son rôle dans M*A*S*H, qui s’est opposée à ces pratiques.
Il va s’en dire qu’il leur arrive toutes sortes d’aventures. Comme la fois où ils ont passé le réveillon de Noël avec le président du Panama, qui était fiancé à leur guide. « Nous avions toujours parlé espagnol avec notre guide. Jusqu’à ce qu’un soir, elle déclare lors du dîner : « Frans, vous pouvez parler flamand. » Elle était en réalité originaire d’Eeklo ». Au Groenland, Frans a même passé une journée en compagnie royale, lorsque la reine Margrethe du Danemark s’est avérée séjourner dans le même hôtel. « Elle nous a invités à l’accompagner dans son hélicoptère pour voler jusqu’au sommet d’un glacier ».
Lorsqu’il part pour une destination tropicale, comme les Açores, Frans ramène des figuiers et des palmiers. Ses souvenirs verts poussent toujours dans son jardin, dans le centre de Mol. « Lors des hivers rigoureux, j’entoure leur tronc avec des canisses de roseaux », dit-il. « Avec les figues, nous faisons chaque année de la confiture. Les figues fraîches du jardin sont d’ailleurs bien meilleures que celles achetées en magasin ». Mais les films eux-mêmes restent les plus beaux souvenirs qu’il ramène de ses pérégrinations. « J’en profite deux fois : d’abord sur place, puis à travers les films. »
Après toutes ces expéditions aux quatre coins du monde, Frans finit par se lasser de ces voyages. Il préfère se focaliser sur sa région. « Parce qu’il y a aussi énormément d’aventures à vivre en Campine », affirme-t-il. « Mieux encore : la Campine est unique en termes de faune et de flore. La vie y est prolifique ». En témoigne notamment son film sur les lacs de Mol, qu’il a rebaptisé la région des lacs de Campine, et qui lui vaut une Pomme d’Or, un prestigieux prix de la presse touristique. Et le plus incroyable, c’est qu’aucune parole n’est prononcée pendant toute la durée du film : les images parlent d’elles-mêmes.
Frans a déjà pu observer la nature de la région sous tous les angles. Aplati contre le sol, depuis une grue de pompier et même depuis une montgolfière. Ne croyez pas qu’il ne se passe rien dans le cadre tranquille de la Campine. Frans se souvient par exemple du jour où l’ingénieur du son Gilbert Lantin est tout à coup tombé dans le Duivelskuil, un marais situé à proximité des Belse Bossen. « J’ai dû le sortir de là avec mon trépied », dit-il. « Gilbert a pué d’ici à Meerhout. Il a voulu enlever son pantalon. Je lui ai dit : « Tu ne vas quand même pas aller en sous-vêtements au café, n’est-ce pas ? Garde-le ! »
Malgré son âge respectable, il fait encore tout lui-même, du travail de recherche et du tournage au montage et à l’écriture des textes. C’est la VRT qui effectue le mixage sonore. Au fil des années, beaucoup de choses ont changé. Autrefois, Frans et Gaston utilisaient un clap pour numéroter leurs prises. Désormais, tout se fait de manière numérique. « Mais finalement, il s’agit surtout de trouver le meilleur angle de prise de vue », déclare Frans. « Vous l’avez ou vous ne l’avez pas. »
Il a également appris à bien connaître la nature, avec son lot de succès et d’échecs. Un jour, il a filmé un machaon dans son jardin. Une séquence tellement belle qu’il décida de l’insérer dans un film sur l’Irlande. Il reçut alors un coup de fil : « Monsieur Verhoeven, vous pouvez dire ce que vous voulez, mais il n’y a pas de papillons machaon en Irlande. » Frans ricane malicieusement. « Que voulez-vous, le papillon était tellement beau », dit-il. « Mais je n’ai plus jamais fait la même erreur. » En cas de doute, il se renseigne toujours au préalable. « J’apprends encore tous les jours. »
Après son précédent documentaire, consacré à une colline appelée le Kempense Heuvelrug, Frans a envisagé à un moment donné d’arrêter. « Mais à la VRT, on m’a supplié de ne pas le faire. Car je suis le seul à réaliser encore de tels documentaires sur mon pays », explique Frans. Il continue donc, si Dieu le veut, et tant qu’il y trouve du plaisir.