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Agnes Wené était en plein burn-out lorsqu'un troglodyte mignon a croisé son chemin. Depuis lors, l'ornithologie est son antidote contre le rythme effréné de la vie. Avec son livre Fluitend door het leven, elle transmet aux autres sa passion pour les oiseaux. « Je ne suis jamais de mauvaise humeur quand le chant d'un merle me réveille le matin. »
Nous nous promenons dans le Bospolder à Ekeren. Le bourdonnement du port d'Anvers couvre le bruit de nos pas dans la boue. Soudain, Agnes Wené s'arrête. Elle pose son doigt sur ses lèvres – nous invitant à ne pas faire de bruit – et nous montre un arbre un peu plus loin. Je plisse les yeux et j'attrape maladroitement les jumelles qui pendent autour de mon cou. Un pic épeiche prend peur et s'envole. Agnes prend une profonde inspiration et expire avec un air heureux. Ses yeux pétillent. « Magnifique, non ? »
Dès qu'elle le peut, Agnes va se balader dans les champs, les bois et les parcs de Flandre. Elle va le plus souvent dans le Bospolder, son local patch, le terme utilisé par les ornithologues pour désigner le site naturel le plus près de chez eux. Elle y admire les roitelets triple-bandeau, les grèbes jougris et les foulques macroules, en plus de se ressourcer. Agnes va aussi dans le Peerdsbos, un bois situé à la limite entre Schoten et Brasschaat, où la nature l'enveloppe « comme une couverture » à chaque fois qu'elle y entre.
Car la nature guérit. « C'est scientifiquement prouvé », dit-elle. « Une promenade dans les bois vous met en contact avec des bactéries qui ont un effet positif sur la santé. Certaines personnes sont même malades à cause d'une carence en nature, on appelle cela le Nature Deficit Disorder. Vingt minutes par jour suffisent, mais cela demande de la discipline. Lorsque j'ai un rendez-vous quelque part, je recherche s'il y a un endroit pour observer les oiseaux à proximité. Histoire de profiter d'un moment de calme. »
ÂGE
45 ans
DOMICILE
Merksem, Belgique
MÉTIER
Autrefois chef de projet au Flanders Fashion Institute.
Désormais créatrice : à mi-temps pour LingeriePro et indépendante à mi-temps.
Auteur de Fluitend door het leven.
Agnes n'était pourtant pas prédestinée à devenir naturaliste. Jusqu'il y a quelques années, elle ne fréquentait les sentiers forestiers que pour aller à la plaine de jeux avec ses enfants. « Je n'aimais pas du tout la randonnée », confie-t-elle. « Maintenant, je ne pourrais plus m'en passer. » Retour en 2016. La vie d'Agnes file comme un train à grande vitesse sans destination. En tant que chef de projet dans le secteur de la mode, elle court du matin au soir, toujours « overbookée ». C'est alors que le train déraille avec fracas. Diagnostic : un gros burn-out.
« Je mettais toujours la barre très haut et j'essayais de jongler avec une foule d'activités », dit-elle en y repensant. « Cela me guettait depuis des années. » Son corps commence à protester. D'abord, elle a du mal à se concentrer, puis elle souffre de palpitations cardiaques et oublie même les choses les plus simples. Si elle assiste à une réunion, elle se demande ensuite : est-ce que j'y étais ? « Même les tâches les plus simples étaient devenues des montagnes à escalader », soupire-t-elle.
Agnes est au bout du rouleau, terriblement fatiguée. Pourtant, le soir venu, elle n'arrive pas à dormir. Le cortisol, une hormone du stress dont nous avons besoin en situation d'urgence, la maintient éveillée. « Normalement, le corps produit du cortisol quand une bombe explose ou quand vous êtes poursuivi par un tigre, mais j'avais constamment des niveaux élevés. »
Agnes fait référence à Paul Verhaeghe, un psychologue clinicien qui estime que l'équilibre entre charge et décharge est d'une importance fondamentale pour l'être humain. Un bon équilibre nous permet d'atteindre le « flow », une expérience optimale, au travail – et de nous y sentir bien – et de pouvoir nous détendre ensuite. « Pendant mon burn-out, cet équilibre était totalement rompu », confie Agnes. « Je n'éprouvais plus aucun plaisir dans l'effort et encore moins dans la détente. »
Le contrecoup ne se fait pas attendre. Elle n'arrive plus à rien faire. Même pendre le linge est devenu trop difficile pour elle. « Écouter de la musique, lire, faire la vaisselle... Je n'y arrivais plus. Même parler me coûtait trop d'énergie. Je m'enfonçais lentement dans un profond puits dont je ne pensais jamais pouvoir ressortir. »
Et puis un jour, les temps changent, comme en ce matin d'octobre 2016, un mois après son burn-out. Au lieu de se battre en vain contre l'insomnie, de se retourner sans cesse dans son lit dans l'espoir de s'assoupir, Agnes s'est préparé une tasse de thé. Elle est assise là, apathique, sous une couverture en polaire dans son jardin à Merksem, lorsqu'un petit oiseau brun arrive en voltigeant. « J'entendais son chant si puissant et si beau, mais je n'avais aucune idée de ce que c'était. »
Ce troglodyte mignon ne sait probablement pas encore qu'il vient de remettre une vie humaine sur les rails. Car Agnes a directement envie d'en savoir plus sur les oiseaux. « C'était la seule chose qui m'intéressait », explique-t-elle. « J'ai directement suivi une formation chez Natuurpunt (association de protection de la nature en Flandres, NDLR). J'ai ensuite constaté que de nombreuses personnes de mon entourage aimaient aussi observer les oiseaux. »
Ce qui commence par des promenades d'un quart d'heure va vite devenir plus qu'un hobby. Les oiseaux l'aident à se reconstruire, la préparent à affronter à nouveau la vie quotidienne. Elle mène désormais sa vie à un rythme plus posé, mais aussi de manière plus consciente, en écoutant son corps. « Dès l'enfance, nous nous adaptons à des attentes. Celles des autres, mais aussi les nôtres. Vous devez avoir une maison étincelante et une vie sociale trépidante. Mais est-ce vraiment nécessaire ? Je ne veux plus faire des choix qui ont un impact négatif sur moi, sur les autres ou sur la planète. »
Elle reprend une métaphore faite récemment par Dirk De Wachter. Dans Humo, le psychiatre compare notre époque à un bateau de course. « À l'avant, de beaux hommes virils sont à la barre et font filer le bateau à toute vitesse. Ils sont entourés par de jolies dames qui boivent du champagne », explique Agnes. « Mais à l'arrière du bateau, beaucoup de gens tombent à l'eau, car il va trop vite et qu'il n'y a pas de rambarde. Et tout le monde se concentre sur les gens qui sont à l'avant, pas sur ceux qui tombent. » Dans un monde de néolibéralisme, de digitalisation et de crise climatique, les laissés-pour-compte sont de plus en plus nombreux. Conséquence : un burn-out global.
La nature est peut-être la rambarde dont nous avons besoin. Entourée par la verdure, Agnes parvient à se poser. Car pour observer les oiseaux, impossible de foncer les yeux fermés. « Pendant mon burn-out, j'ai découvert ce que cela fait de ralentir, tant sur le plan physique que mental. Et à quel point c'est difficile. Si vous roulez à 120 km/h sur l'autoroute et qu'après la sortie, vous devez ralentir à 50 ou à 30, vous vous dites : je suis vraiment un escargot ! Vous sentez cette résistance et votre voiture commence à avoir des ratés.
Elle en a déjà assez du vieux cliché qui voudrait que l'ornithologie soit un hobby réservé aux vieillards dans leur pull en laine et leur pantalon à fermeture éclair, mâchonnant furieusement leur tabac à chiquer. Cette image est aujourd'hui dépassée : de plus en plus de personnes branchées affichent leur passion pour les oiseaux. Comme Begijn Le Bleu ou les dames du groupe ornithologique De Duifkes, exclusivement réservé aux femmes. Et aussi grâce à Agnes, qui, en tant que professionnelle de la mode, n'hésite pas à afficher son pull rose au milieu des couleurs kaki lors des réunions de Natuurpunt.
Pour les curieux qui veulent en savoir plus sur nos amis à plumes, Agnes a écrit un livre : Fluitend door het leven. Ce n'est pas un guide de terrain, comme celui de l'ANWB, la bible de l'ornithologie qui ne quitte jamais sa voiture. Son livre est destiné aux débutants qui ont encore du mal à différencier la sittelle et le grimpereau et met l'accent sur le fait de prendre soin de soi. « Attention, je ne dis pas que tout le monde doit s'intéresser à la nature. Certains se ressourcent derrière les fourneaux, d'autres avec les mains dans la terre du jardin. Mais je pense qu'un lien plus étroit avec la nature peut avoir un effet préventif contre le burn-out. »
>> Concentrez-vous sur un oiseau à la fois.
« Reconnaître les chants d'oiseaux n'est pas simple. Il faut exercer votre oreille. Au lieu de rechercher directement tout ce que vous entendez, il est préférable de vous concentrer pendant un moment sur un seul oiseau. Il existe des moyens mémotechniques pour vous aider. »
>> Arrêtez-vous, prenez le temps.
« Si vous ne restez pas immobile de temps en temps, vous passerez à côté de tous les oiseaux. Pour les repérer, vous devez impérativement ralentir. »
>> Apprenez avec des experts (et faites preuve d’indulgence à votre égard).
« Faites des sorties de groupe si vous voulez apprendre avec des experts qui ont passé leur vie à étudier les oiseaux. Je ne me considère pas comme une experte, mais ça me va très bien. Avant, je mettais toujours la barre très haut lorsque je m'intéressais à un nouveau sujet, mais pour l'ornithologie, je m'autorise à ne pas être perfectionniste. C’est un grand pas en avant. »
Depuis l'observatoire du Bospolder, nous contemplons en silence un étang paisible. Une mésange charbonnière fait frémir les roseaux. Agnes scrute les environs à travers ses jumelles et attire notre attention sur une demi-douzaine de canards sauvages. « C'est l'hiver dans la nature », chuchote-t-elle. « Les couleurs sont moins intenses et on dirait que rien ne se passe. Mais il ne faut pas se fier aux apparences. Sous le sol, des forces sont à l'œuvre et la nature s'apprête à renaître. Une pensée réconfortante, également pour la vie quotidienne. Parfois, il faut savoir laisser le temps au temps. »
« C'est ce qu'il y a de bien avec l'ornithologie », confie-t-elle, « vous vous adaptez au rythme des saisons. Cela peut sembler bête, mais dans la vie, on traverse aussi des saisons. Nous pensons souvent que nous devons aller d'un point A à un point B, mais la vie est loin d'être aussi linéaire. Les choses vont et viennent. Après l’hiver vient le printemps. » L'effet positif de la nature pour Agnes ne s'arrête pas là. Elle aime s'y balader seule, pour méditer ou contempler, se poser des petites et grandes questions existentielles. Ou pour développer une idée créative.
Il y a deux ans, pendant une balade, Agnes était assise sur un banc lorsque le vent s'est soudainement levé. Les arbres et les herbes fragiles ne résistent pas. Ils plient au gré du vent. « Je me suis dit : c'est ça ! Je dois accepter de plier, lâcher prise. Ce genre de révélation de la nature n'est possible que si vous prenez le temps de vous arrêter. »
Agnes profite pleinement de son voyage initiatique dans le monde des volatiles. Elle ressent toujours le même émerveillement quand elle contemple un coq de bruyère dans les Alpes ou voit passer une chouette de l'Oural au-dessus de sa tête en Transylvanie. Ou plus près de chez nous, quand elle voit un épervier déguster un pigeon ramier dans son jardin.
Mais avant tout, elle pense qu'il faut apprécier les petites choses. Elle prend donc plaisir à s'installer sur la plage pour admirer la morphologie et le plumage d'une troupe de mouettes. « Ce sont des animaux impressionnants. Ou prenez les pies bavardes, des oiseaux dérangeants aux yeux de beaucoup de gens parce qu'elles font un sacré vacarme. À l'occasion, observez les magnifiques reflets métalliques de leur plumage ! »
Agnes est donc reconnaissante lorsqu'elle voit une pie se poser dans son jardin. Ce sentiment de reconnaissance est, selon elle, renforcé par le contact avec la nature. « Nous n'accordons de l'importance aux choses simples que quand elles ne sont plus là. Comme le merle, un oiseau très commun, mais aujourd'hui menacé par un virus. C'est pareil dans la vie. Les bonnes relations, la personne qui vous apporte un bol de soupe quand vous êtes malade, l'eau du robinet : nous devrions être plus reconnaissants pour toutes ces petites choses qui nous semblent acquises. »
Agnes a appris à apprécier ces détails. « Je ne suis jamais de mauvaise humeur lorsque je suis réveillée par le chant d'un merle », déclare-t-elle. Les oiseaux lui offrent toujours des petits moments de joie, des « ornithorgasmes » subtils qui colorent sa journée. Le matin, elle saute sur son vélo pour aller travailler, passe devant l'arbre des tourterelles turques, puis celui des mésanges charbonnières, le long de la maison avec le mur recouvert de lierre qui grouille de moineaux. Elle passe ainsi d'un oiseau à l'autre pendant tout le trajet. Après avoir découvert les plaisirs de l'ornithologie, vous ne vous ennuierez plus jamais.
Vous voulez en savoir plus sur les oiseaux, mais les sorties de groupe ne sont pas pour vous ? Ces conseils vous permettront d'avancer en solo !
1. N'utilisez pas que vos yeux
Un ornithologue n'utilise pas que ses yeux, mais également ses oreilles afin d'en savoir plus sur les oiseaux présents dans les environs. Vous n'avez pas encore l'oreille bien affûtée ? Utilisez une application qui vous aidera à identifier les chants, comme Song Sleuth 2.0 (disponible pour Android et iOS). Elle fonctionne un peu comme la célèbre application Shazam pour la musique : faites-lui écouter un chant d'oiseau et elle vous dira à quelle espèce il appartient. Facile !
2. Regardez plus loin que le bout de votre nez
Rares sont les oiseaux qui viennent se poser juste sous votre nez. Il est donc parfois difficile de les apercevoir à l'œil nu. Pour les admirer de plus loin, une paire de jumelles viendra bien à point et vous accompagnera pendant de nombreuses années. Vous n'avez aucune idée des jumelles qu'il vous faut ? Avec l'aide de nos experts en magasin ou de ce guide en ligne, vous trouverez à coup sûr des jumelles adaptées à l'usage que vous voulez en faire.
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